Origines


Peste, pluie diluvienne, les Normands… les origines du Tour de la Madeleine sont nébuleuses. Seule certitude, la procession est vieille de plusieurs siècles et divers éléments tentent à prouver son caractère antique

Le terme «Marche de la Madeleine» ou «Tour de la Madeleine» utilisé aujourd’hui, est d’origine assez récente; il date des dernières décennies du 19e siècle lorsque l’élément folklorique et donc militaire acquit une importance telle qu’il supplanta peu à peu la vieille appellation de «procession de la Madeleine».

Avant le 19e siècle : une procession religieuse

Tous les documents anciens citent la Madeleine en tant que manifestation religieuse et non militaire. Cette thèse est étayée dans plusieurs documents faisant allusion à l’existence, à Jumet « Heigne », d’une procession.

Les soldats n’accompagnaient pas les processions au temps jadis, mais ceux-ci étaient alors en «service commandé» puisqu’il s’agissait de troupes relevant directement de l’autorité civile, et dont une des missions principales était de rehausser de leur présence les cérémonies officielles.

La Madeleine prendra la physionomie que nous lui connaissons dans la seconde moitié du 19e siècle que la Madeleine : une procession accompagnée de troupes en armes, à caractère purement folklorique.

Les comptes de la Chapelle Notre-Dame des Affligés à Jumet Chef-Lieu qui font état d’une recette de 33 sols résultant d’une collecte effectuée à l’église de Heigne le 22 juillet 1677, probablement à l’occasion d’une cérémonie inhabituelle puisqu’ayant eu lieu un jeudi, ou bien l’annonce faite à l’église du Chef-Lieu le 14 juillet 1833 où il est dit que «Dimanche prochain, on fera la procession de la Madeleine; la première messe se dira à 4 heures et la grand’messe après la procession»; enfin l’annonce des festivités publiée dans le Journal de Charleroi du 18 juillet 1852 mentionne notamment «Une procession qui se fait à Heigne tous les ans à pareil jour, aura encore lieu cette année. Cette procession partira de Heigne à 4 heures du matin et traversera les communes de Roux, Courcelles, Thiméon et Gosselies.»

La Chapelle de Jumet Heigne (Dessin de Raymond Drygalski. Tous droits réservés).
La Chapelle de Jumet Heigne (Dessin de Raymond Drygalski. Tous droits réservés).

C’est aussi à la fin du 19e siècle qu’on tente de donner les premières explications pour situer et dater les origines de la procession. On mit ainsi au grand jour des liens de causalité entre événements historiques bien réels et des situations romanesques sorties tout droit de l’imaginaire.

La peste

La légende la plus populaire conte qu’en 1380, une épidémie de peste ravagea nos régions. N’épargnant personne, le terrible fléau frappa la châtelaine de Heigne. Les gens du hameau organisèrent alors une procession pour demander au ciel la guérison de la Dame de Heigne.

A travers les campagnes voisines, les pèlerins arrivèrent à Thiméon lorsqu’un cavalier accourut, à bride abattue, annoncer la guérison de la châtelaine et la disparition miraculeuse de la maladie. L’annonce de cette bonne nouvelle entraîna l’allégresse générale; tout le monde se mit à danser. Depuis lors, la prairie, témoin de cette liesse populaire, porte le nom de Têre al Danse.

Belle légende, il est vrai, mais qui ne peut résister à la critique historique. D’abord, aucun document ancien ne parle de cette belle histoire. C’est François Bastin-Lefèvre, qui dans son livre Jumet, Heigne, Roux et Sart-les-Moines publié en 1895, nous rapporte cette légende. Celle-ci s’appuie uniquement sur le fait bien réel que, vers le milieu du XIVe siècle, la peste provoqua d’importants ravages dans nos régions. Quant à la date de 1380, aucun écrit antérieur à Bastin-Lefèvre ne vient la confirmer.

Livre de Robert Arcq, célèbre historien jumétois, retraçant l’Histoire de la Madeleine. Èl Toûr dèl Mad’lène – Editions èl Bourdon, 1999 : source des textes de cette page.

C’est probablement une mauvaise interprétation du vieux nom de Heigne, Hunia castellum, qui donna naissance à cette légende. Le terme castellum ne désigne pas un château tel qu’on le conçoit généralement, mais seulement un poste de défense, un retranchement, voire un fortin.

Quant au mot hunia, il est l’aboutissement du mot germanique hûnja qui signifie «endroit élevé, escarpement». Hunia castellum désignerait donc dans ce cas précis, le retranchement de Heigne qui surplombait la vallée du Piéton.

Quant à la châtelaine de Heigne, il faut en déduire qu’elle n’exista que dans l’imagination populaire puisque Jumet fut terre abbatiale de la fin du VIIe siècle jusqu’en 888, avant d’être cédée au Prince-Evêque de Liège qui en sera le seul seigneur jusqu’en 1780.

La pluie diluvienne

Une autre explication a été donnée pour tenter de situer l’origine de la procession. Une année indéterminée, des pluies abondantes s’abbatirent sur nos régions, compromettant gravement les récoltes. Les gens de Heigne entreprirent alors un pèlerinage pour écarter cette calamité naturelle. Comme ils arrivaient à Thiméon, le soleil se mit à briller. La joie bien compréhensible s’empara des pèlerins qui se mirent à danser sur le champ qui allait devenir Têre al Danse.

Cette légende semble venir tout droit de la tradition orale puisqu’elle est encore moins précise que la précédente. On n’en connaît en effet ni la date, ni aucune référence à un texte ancien.

Les Normands

Il est pourtant un fait historique auquel les historiens locaux trouvèrent une curieuse analogie. En 880, les Normands, ces «hommes du nord» qui se nommaient eux-mêmes «Vikings» débarquèrent dans nos régions où ils se livrèrent au pillage des églises et monasTêres, provoquant la terreur parmi la population.

Les Normands avaient déjà incendié la ville de Liège après avoir remonté la Meuse, et s’apprêtaient à fondre sur la vallée de la Sambre quand ils trouvèrent sur leur route Louis III dit le Saxon, Roi de Germanie, qui rentrait dans son royaume après avoir conclu un traité avec le fils de Louis le Bègue. La bataille eut lieu en un endroit nommé Thimium que les historiens locaux traduisirent immédiatement en Thiméon.

Défaits, les Normands furent repoussés vers le nord où ils furent définitivement vaincus à Louvain, en 891, par Arnulf de Carinthie, Roi de Germanie. On sait que chaque année, à Louvain, un ommegang célèbre cette victoire. Nos historiens locaux firent la relation entre cet ommegang et la procession de la Madeleine qui rappellerait la victoire remportée sur l’envahisseur. La Têre al Danse indiquerait l’endroit décisif du combat.

Cette déduction ne peut rester sans commentaire. La traduction de Thimium en Thiméon peut paraître hâtive quand on sait que plusieurs chroniques de l’événement citent les noms de Thimum, Thimmin, Tumarium et même Tudinium. De plus, dans son ouvrage intitulé Lobbes, son abbaye et son chapitre publié en 1865, J. Vos nous apprend que Louis le Saxon livra bataille juxta Carbonariam in loco qui dicitur Thimium («près de la Forêt charbonnière en un lieu appelé Thimium»). Il existait en fait en fait plusieurs itinéraires traversant la Forêt charbonnière, dont un était proche de la riche abbaye de Lobbes, et qui aurait pu provoquer la rencontre entre Louis le Saxon et les Normands, près de Thuin.

Par contre, aucun monasTêre digne de ce nom ne se trouvait dans les environs de Thiméon. Il serait donc imprudent d’affirmer, en l’absence de tout document probant, une relation entre une hypothétique bataille de Thiméon et la procession de la Madeleine.

Les bancroix

Une autre hypothèse propose de faire remonter l’origine de la procession aux Bancroix. Les pèlerinages appelés «Bancroix» étaient des processions d’un certain nombre de paroisses, groupées en doyenné, qui se rendaient chaque année dans un sanctuaire déterminé pour y déposer leurs offrandes.

C’est ainsi que l’Abbaye de Lobbes, de laquelle dépendaient Jumet et Heigne, bénéficia du privilège des Bancroix. A Lobbes, la date des Bancroix était fixée au 25 avril, fête de saint Marc l’Evangéliste. Chaque participant avait l’obligation d’offrir à l’abbaye un pain et une obole. Dès la fin du Xe siècle, ces processions furent cause de conflits, vingt-deux paroisses, dont Jumet, préférant se rendre à Fosses ou à Nivelles, villes plus faciles d’accès, pour s’acquitter de leur obligation. Ceci entraîna la réaction de l’Abbé de Lobbes et du Prince-Evêque de Liège Notger qui menacèrent d’excommunication les paroisses récalcitrantes.

On voit mal comment les Bancroix de Lobbes auraient pu donner naissance à la procession. D’abord, la date elle-même ne correspond en rien à celle du pèlerinage de Heigne. Ensuite, ces processions se rendaient d’un monasTêre vers un autre, alors que celle de Heigne prend son départ et revient à l’église de Heigne, ce qui lui vaut le nom de Tour de la Madeleine. Enfin, sur le parcours aucun sanctuaire n’était susceptible de recevoir les offrandes dont chacun était redevable.

Conclusions

Comme on peut le constater, rien ne privilégie une hypothèse par rapport à une autre pour situer les origines et la date à laquelle la procession eut lieu pour la première fois.

Mais quelques éléments tentent toutefois à nous prouver son antiquité. La terminologie évoquée au début du texte montre qu’on parla longtemps de procession et non de marche, ce qui laisse présager d’une origine lointaine.

De plus, la danse exécutée sur la Têre al Danse présente toutes les similitudes d’un rituel ancien. Dès qu’ils pénètrent sur la Têre al Danse, les pèlerins, prêtres compris, se tiennent par les bras et avancent en sautillant et en se déplaçant successivement de gauche à droite et de droite à gauche. On retrouve notamment cette danse traditionnelle dans des processions mieux connues telles celles d’Echternach et de Verviers, où il s’agit, dans ces cas précis, d’institutions chrétiennes qui se sont superposées dans des temps très anciens à des vieilles coutumes païennes.

La danse de la Têre al danse serait ainsi la survivance d’un culte antique dont un des rites fut préservé et introduit plus tard dans une procession chrétienne.

Un autre élément milite en faveur de l’ancienneté de la procession: les oratoires devant lesquels elle s’arrête sont tous des lieux de culte très anciens. Par contre, la procession néglige systématiquement les sanctuaires plus récents en poursuivant sa route.

Enfin, le parcours de la procession emprunte un itinéraire dont la plupart des chemins sont en pleine campagne. Ceux-ci étaient autrefois d’anciennes voies de communication bien plus utilisées qu’aujourd’hui. La procession a donc conservé son itinéraire traditionnel malgré la création d’accès plus adaptés à l’expansion industrielle et démographique des siècles précédents. Quand on sait que le Jumet d’autrefois était bien plus étendu que le territoire actuel, il est fort possible que la procession longe les limites d’une paroisse primitive, morcelée depuis.

Texte tiré de l’œuvre de Robert ARCQ : Èl Toûr dèl Mad’lène – Editions èl Bourdon, 1999.